23 Aout 2021
| Le TempsDérèglements climatiques: les leçons à tirer de cet été meurtrier
Dans le monde académique, les courants dominants en économie et finance brillent par leur discrétion en ce qui concerne le dérèglement climatique et ses désastreuses conséquences économiques et sociales, affirme Marc Chesney, professeur à l’Université de Zurich
Publié lundi 23 août 2021 à 13:24
Modifié lundi 23 août 2021 à 15:36
L’un des personnages principaux du film L’Eté meurtrier, réalisé par Jean Becker et sorti en 1983, est un pompier volontaire, incarné magistralement par Alain Souchon.
En 2021, durant la période estivale, les pompiers, tant volontaires que professionnels, ont été en première ligne, et ce n’était pas du cinéma. Ces derniers mois ont été marqués par des événements climatiques extrêmes et ils ont dû combattre, souvent dans des conditions très dangereuses, voire au péril de leur vie, les énormes dégâts et terribles inondations, causés par les pluies diluviennes et autres violents orages, au nord de l’Europe, ainsi qu’au sud, de gigantesques incendies de forêt.
Catastrophes sur tous les continents
Les autres continents n’ont pas été épargnés. Au Canada, après un record de chaleur de 49,6°C, le village de Lytton est presque entièrement parti en fumée. En Chine, c’est à Zhengzhou que la situation est devenue dramatique. Dans des rames de métro, de nombreuses personnes ont été coincées par la montée des eaux. Ainsi, c’est malheureusement à une longue série de catastrophes environnementales de toutes sortes et aux accidents mortels qu’elles génèrent, que nous sommes confrontés. Comme mises en lumière dans les rapports du GIEC, et en particulier celui du 9 août dernier, elles sont principalement dues aux émissions de gaz à effet de serre. De plus, elles ont pour effet d’intensifier le réchauffement climatique et de réduire la biodiversité.
Si rien de tangible n’est entrepris pour lutter contre ces émissions et la déforestation, ces fléaux vont continuer à s’accentuer et devenir plus fréquents.
Faire le plein pour 1 million de dollars
Dans ce contexte inquiétant, quels ont été les autres événements estivaux? Eh bien, les inégalités sociales n’ont cessé de croître! A l’heure où environ la moitié des habitants de ce monde survit avec moins de 5,5 dollars par jour, les super-riches sur leur mégayachts ont continué à naviguer de conserve, de Saint-Trop à Saint-Barth, en passant par la Côte d’Emeraude.
Un plein peut être de l’ordre d’1 million de dollars, l’alimentation globale peut arriver à 1000 litres de combustible par heure, voire plus. Peu importent les coûts et les émissions de CO2 correspondantes! Que vogue la galère, ou plutôt le palace flottant, avec le milliardaire, sa cour et ses serviteurs!
Ego surdimensionné
Le cap est mis sur la satisfaction de leur ego surdimensionné. Rien n’est trop beau! Ils mettent en œuvre le sauve-qui-peut de leur caste, sur des paradis fiscaux flottants, et pour ceux qui pourront se le permettre, à terme dans l’espace! Ces fastueux vaisseaux intègrent souvent des salles de marché, qui permettent à leur détenteur de miser leurs liquidités dans le cadre de la finance-casino et de faire flamber le cours de telles ou telles actions ou cryptodevises. Un hélicoptère est à leur disposition pour apporter les mets les plus fins et les boissons les plus onéreuses, ou les déposer dans un aéroport et leur donner ainsi accès à un jet privé. Ces vols privés se sont d’ailleurs multipliés pendant la pandémie de Covid-19. Manifestement, le confinement n’était pas obligatoire pour tous.
Lors de la catastrophe du Titanic, au début du XXe siècle, les plus fortunés eurent un accès privilégié aux bateaux de secours. Aujourd’hui, leurs luxueux mégayachts en tiennent lieu. Ils font sécession (voir le livre de Grégory Salle: Superyachts, Editions Amsterdam, 2021), profitent de la misère du monde et l’accentuent, mais ne sauraient la voir, si ce n’est éventuellement sur Netflix. Pour cette caste, œuvrer au bien commun générerait des coûts inutiles et n’est certainement pas d’actualité! Le monde est devenu un vaste Titanic. Les périls, environnementaux et sociétaux sont connus, leurs solutions aussi, et pourtant, le cap vers les catastrophes à venir est maintenu.
Le pétrole et la BNS
Il convient d’ajouter à ce sombre tableau les placements de la Banque nationale suisse (BNS) dans les actions des compagnies pétrolières les plus importantes et les vastes prêts octroyés par les grandes banques aux entreprises émettrices de gaz à effet de serre, tout cela en contradiction flagrante avec les Accords de Paris de 2015, que la plupart des pays, y compris la Suisse, ont ratifiés. Manifestement, les grands établissements financiers sont au-dessus des lois et des accords internationaux.
Et le monde académique dans tout cela? En économie et en finance, les courants dominants brillent par leur discrétion, pour ne pas dire leur silence, en ce qui concerne le traitement des sujets qui fâchent, en particulier de ceux mentionnés dans cet article. Ne serait-ce que par respect pour le contribuable, qui les finance, les représentants de ces courants se devraient d’assumer leur responsabilité et donc d’intégrer les questions environnementale et sociale dans leurs cadres d’analyse.
Dans le film L’Eté meurtrier, celle qui va devenir l’épouse du pompier, interprétée par l’éblouissante Isabelle Adjani, attise les feux de la passion et du désir. Mais dans la situation actuelle, les pompiers ne sauraient faire bon ménage avec les pyromanes. Les pompiers sont nombreux. Les femmes et hommes inquiets des injustices sociales et des crises environnementales, tant pour eux que pour les générations à venir, et qui ont à l’esprit les solutions à mettre en œuvre, sont légion. Les pyromanes, cyniques et extrémistes, sont en nombre limité, mais disposent de leviers efficaces, grâce à leurs puissants groupes de pression. Ils refusent tous types de régulation, tant environnementale, que financière, sanitaire et même démocratique. Il est grand temps de siffler la fin de la récréation.