Analyse critique du secteur financier

09.06.2020

| Le Temps

Vous avez dit «retour à la normalité»?!

OPINION. Une croissance économique basée sur la destruction du vivant est un dangereux contre-sens, écrit le professeur Marc Chesney, directeur du Centre de compétence en finance durable de l’Université de Zurich

Les embouteillages, l’air saturé de CO2, la vie frénétique, les déplacements incessants en avion… tout cela nous a tant manqué! Le Covid-19 a mis l’économie KO pendant presque trois mois, et maintenant la «fête» devrait reprendre: destruction des espèces animales à grande échelle (environ les deux tiers ont déjà disparu), déforestation, pollution, réchauffement climatique et inégalités sociales tant extrêmes qu’insensées! Et si nos bronches venaient à être infectées par des virus à répétition, ou par l’utilisation intensive et irresponsable des énergies fossiles, eh bien qu’à cela ne tienne, il suffirait, d’après le brillantissime président des Etats-Unis, d’ingurgiter quelques doses d’eau de Javel pour réparer ce dégât collatéral! A l’heure où le patient zéro est toujours recherché, le président nul est aisément identifiable, même si d’autres (no)minables le talonnent au niveau mondial. Que le champagne coule donc à flots… la Terre va continuer à saigner!

Une économie prédatrice

Arrêtons-nous un instant pour réfléchir. Si nous en sommes arrivés là et si de nombreux spécialistes étudient l’effet du Covid-19 sur l’économie mondiale, il serait judicieux de comprendre que, inversement, c’est l’économie dans sa prétendue normalité ou plus exactement dans son dysfonctionnement, qui accroît considérablement la fréquence d’apparition des épidémies et permet leur diffusion.

En effet, la déforestation et la réduction drastique de la biodiversité sont les facteurs clés de leur survenance. La globalisation de l’économie accélère leur transmission d’un pays ou d’un continent à l’autre. Or, ces facteurs ne sont pas uniquement sanitaires. Ils sont aussi d’ordre politique, social et économique. Ainsi, des gouvernements en Amérique du Sud et ailleurs dans le monde encouragent la déforestation pour promouvoir l’agriculture intensive (avec épandage massif de pesticides) de soja transgénique de manière à nourrir des animaux qui, après être passés par d’horribles abattoirs, sont censés terminer dans nos assiettes.

De quoi s’agit-il exactement? De puissants intérêts financiers qui vont à l’encontre de notre bien-être et de notre santé. D’une économie malsaine et prédatrice qui doit être fondamentalement repensée, au risque de nous emporter dans sa folle course. D’une économie qui, fièrement et méticuleusement, comptabilise sa production chaque année, par le biais du PIB, mais qui se refuse à considérer ce qu’en même temps elle détruit à grande échelle. D’une économie qui s’enorgueillit de pouvoir placer des satellites dans l’espace à la recherche d’eau ou d’embryons de vie sur d’autres planètes et qui, sur la planète Terre, est incapable de préserver et de promouvoir le vivant comme elle se devrait.

Un «retour à l’anormal»?

Une croissance économique basée sur la destruction du vivant est un dangereux contresens. Un «retour à l’anormal» serait le meilleur moyen de préparer les catastrophes à venir. Au contraire, la stratégie à adopter consiste tout d’abord à venir en aide financièrement à tous ceux que le Covid-19 a placés en situation de détresse, en particulier de nombreux travailleurs indépendants. La mise en place d’une microtaxe sur l’ensemble des transactions électroniques permettrait d’atteindre cet objectif, sans accroître l’endettement public et en mettant à contribution un secteur financier en roue libre.

Au-delà de cette urgence, tirer les enseignements de cette pandémie s’impose, tant pour les générations actuelles, que pour celles à venir, lesquelles ont toutes le droit de vivre dignement dans un environnement protégé. Ce dont il s’agit est ni plus ni moins que de mettre à plat le mode de fonctionnement économique actuel, pour identifier les caractéristiques mortifères et les traiter, comme un médecin le fait, face à un cancer. C’est ambitieux, mais quels seraient les autres choix? Fermer pudiquement les yeux? Laisser aux générations à venir un climat déréglé, un environnement dégradé et propice aux pandémies à répétition ainsi qu’une société déshumanisée et fondée sur un contrôle extrême de la population, au-delà même des fictions décrites dans les romans Paris au XXe siècle de Jules Verne et 1984 de George Orwell? Ce serait irresponsable.

Paradoxalement, il a fallu que la production soit presque à l’arrêt pour que les niveaux de pollution diminuent, que l’on respire mieux et que la nature commence à reprendre ses droits. En temps «normal», environ 9 millions de personnes de par le monde meurent prématurément de maladies pulmonaires liées à la pollution de l’air. C’est dire si l’économie dysfonctionne et si un retour à la «normalité» serait dangereux. Mettre en place une économie qui respecte le vivant est précisément l’objectif à atteindre.

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