Analyse critique du secteur financier

16 mars 2020

| Tribune de Genève

Sept Genevois veulent remplacer TVA et IFD par une microtaxe révolutionnaire

Genève est bien représenté au comité de l’initiative visant à supprimer trois impôts par une taxe sur les paiements sans espèces.
Roland Rossier

Remplacer trois impôts fédéraux par une microtaxe sur les échanges financiers électroniques. Voilà l’idée d’un groupe de citoyens et de citoyennes. Une initiative populaire allant dans ce sens a été lancée. Et, parmi les quatorze membres du comité d’initiative, six sont Genevois. Sept, même, en tenant compte de l’origine de Marc Chesney, professeur de finance à l’Université de Zurich. Cet enseignant résume la raison d’être de ce texte: «Nous voulons réaliser une réforme fiscale digne du XXIe siècle.» De quoi s’agit-il? Cette initiative sur le micro-impôt veut introduire une taxe prélevée automatiquement sur les transactions électroniques. Avec la montée en puissance des modes de paiement sans espèces, trois impôts actuels semblent appartenir au passé aux yeux des initiants. «À l’heure de la digitalisation de l’économie, poursuit Marc Chesney, il s’agit de mettre à jour le système fiscal.»

Les trois impôts qui seraient supprimés représentent environ les deux tiers des recettes actuelles de la Confédération. Le plus important est l’Impôt fédéral direct (IFD). En 2020, il devrait rapporter 24 milliards de francs à la Confédération (lire notre graphique). Son origine remonte à la nuit des temps. C’est au cours de la Première Guerre mondiale que la Suisse imagine lever une sorte d’«impôt de guerre» afin de compenser des recettes fédérales. À cause du conflit, les droits de douane perçus par les autorités helvétiques avaient fondu, passant de 80 à 13% du total des recettes de la Confédération.

Se débarrasser de la TVA
Cette taxe au goût militaire a ensuite été réintroduite à plusieurs reprises au cours de l’entre-deuxguerres, au gré des besoins financiers de la Suisse. Elle sera ensuite renommée Impôt sur la défense nationale (IDN) avant de retrouver son nom actuel, celui d’IFD. C’est aussi au cours du premier conflit mondial du XXe siècle que la Suisse se dote d’une taxe sur les titres, sous forme de timbre. L’apport fiscal de ce droit de timbre, que l’initiative veut à terme également enterrer, est plus modeste: 2,2 milliards de francs. Enfin, et ici ce groupe de citoyens n’aura pas la tâche facile tant elle est entrée dans les moeurs, c’est aussi la Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) dont ils entendent se débarrasser. Avec 23,6 milliards de francs de recettes escomptées, c’est le deuxième plus important impôt de la Confédération. Ce prélèvement remonte aussi à une période marquée par le son du canon. C’est au cours de la Seconde Guerre mondiale que la Suisse adopte l’Impôt sur le chiffre d’affaires (ICHA), une sorte de taxe sur la consommation. Cet impôt sera quelque peu modifié durant plus de quarante ans avant d’être transformé en véritable TVA. Cette dernière est introduite en 1990 avec un taux principal de 6,2%. Aujourd’hui, il est fixé à 7,7% pour la plupart des branches économiques. La perception de cette taxe est particulièrement compliquée à organiser pour les petites structures. Directrice générale d’une entreprise digitale et membre du comité d’initiative, la Genevoise Hélène Gache estime que «comme responsable d’une PME, je sais que la gestion de la TVA est particulièrement lourde. Sa suppression soulagerait les entreprises. » C’est en prélevant un micro- impôt de 0,1% à 0,5% sur chaque transaction électronique que les initiants comptent compenser les quelque 50 milliards de francs qui partiraient en fumée avec la suppression de ces trois taxes. «Cette méthode apporterait de la transparence dans un système financier aujourd’hui opaque, relèvent-ils, car chaque transaction serait saisie.» Le taux d’imposition pourra être adapté selon les besoins par le parlement. «Nous avons besoin que la perception de cette microtaxe atteigne, à terme, 50 milliards de francs par an, afin de pouvoir abolir la TVA, l’IFD et le droit de timbre», détaille Marc Chesney.

Moderne et indolore
Autre membre du comité d’initiative, le député indépendant Guy Mettan abonde, en soulignant qu’il s’agit «d’un impôt moderne et équitable parce qu’il permet de taxer le travail de l’argent plutôt que celui de l’être humain, indolore parce qu’il est si bas qu’il est à peine perceptible et très facile à mettre en oeuvre, et neutre sur le plan fiscal puisqu’il permettra de supprimer ces trois impôts». Et le chef d’entreprise genevois Gérard Jolimay de nouer la gerbe: «Ce système de perception est simple, transparent et équitable.» Lui aussi estime qu’il est grand temps de tourner la page d’un système fiscal vieux de cent ans. «L’idée de cette initiative est géniale car elle est simple. Son descriptif tient sur une page A4, dit en écho Hélène Gache. Nous avons fait beaucoup d’efforts pour en arriver là.»

Patron d’une fiduciaire, Alain Müller est aussi séduit par cette idée, qu’il juge très innovante. Pourtant, une partie de ses revenus provient du travail administratif lié à la TVA. De nombreuses PME confient en effet à leur cabinet comptable ce volet fiscal. Mais ce Genevois estime que cette taxe est vraiment devenue complexe: «Les clients des commerces ne comprennent plus rien. Ils se demandent pourquoi ils doivent payer 7,7% de taxe en consommant sur place et seulement 2,5% à l’emporter.» Bien d’autres professions doivent jongler avec deux taux. C’est à se tirer les cheveux. Dans son argumentaire, le comité d’initiative assure aussi que ce micro-impôt profitera en particulier aux personnes privées et aux PME, qui seront ainsi nettement moins taxées: «qui a beaucoup d’argent paie aussi plus d’impôt. De cette manière, les classes sociales à revenus moyens et bas sont déchargées. Les prix baissent, car la TVA est supprimée. » L’industrie de la finance, dont l’imposition est actuellement très basse, apporte sa contribution à l’assiette fiscale grâce au micro-impôt. Elle serait soulagée par la disparition du droit de timbre, qui frappe notamment les transactions boursières. Mais tout de même handicapée par ce nouveau système de perception. Là, les initiants vont se heurter à une forte résistance. «Nous savons que les grandes banques sont opposées à cette initiative, souligne Marc Chesney. Mais ce ne sera pas forcément le cas des petites ou des moyennes banques, car il est prévu que les établissements financiers seront rémunérés comme percepteurs de ce micro-impôt.»

Transcender les différences
Quand on aborde ce texte avec ces membres genevois du comité d’initiative, on ne les arrête plus. «Les impôts actuels ne sont plus adaptés au monde qui émerge», résume Gérard Jolimay, alors qu’Hélène Gache affirme que ce texte «permet d’adapter notre fiscalité désuète au modèle économique hautement numérisé ou digitalisé d’aujourd’hui». Quant à Marc Chesney, il indique que «cette initiative transcende les différences politiques entre la gauche et la droite». L’actualité pourrait aussi aider ce comité, qui a recueilli 2500 signatures en dix jours, à en faire accélérer la récolte. Contaminés par le coronavirus, les marchés boursiers sont secoués depuis plusieurs jours. Selon de nombreux observateurs, leur niveau était trop haut, nourri par une spéculation que l’initiative pourrait freiner. Un arrière- goût de la situation connue en 2008, celle des prêts toxiques consentis par des banques et des agents financiers voraces, flotte dans l’air. Dans les mois qui viennent, les quatorze membres du comité d’initiative pourraient bien utiliser la situation particulièrement chaotique régnant sur les marchés pour vanter leur texte. Autre actualité qui, en creux, va les servir: le débat autour de la taxation des géants du Net, qui échappent en grande partie à l’impôt.

 

L’exemple de l’achat d’un ordinateur
Les membres du comité d’initiative devront redoubler d’efforts dans les mois qui viennent pour expliquer les tenants et aboutissants de leur texte en raison de la complexité de la matière fiscale. Si la microtaxe est acceptée, elle pourrait inspirer d’autres pays, la Suisse devenant alors pionnière en la matière alors que, durant plus de 80 ans, elle a beaucoup vécu grâce à l’évasion fiscale des étrangers les plus riches. Dans leur argumentaire, les initiants prennent un exemple concret, celui de l’achat d’un ordinateur. Aujourd’hui, un portable d’une valeur de 1000 francs coûte à l’acheteur 1077 francs, TVA de 7,7% comprise. En appliquant un micro-impôt de 0,1%, le même ordinateur ne coûte plus que 1001 francs à l’acheteur, et le vendeur voit son compte crédité de 999 francs. L’impôt prélevé de 2 francs est versé à l’Administration fédérale des contributions. Un calcul similaire peut s’appliquer à d’autres biens, à l’exemple d’une automobile, d’un réfrigérateur ou d’une montre. La TVA est supprimée, ainsi que tout le travail administratif en résultant.
R.R.

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