Analyse critique du secteur financier

19 juillet 2020

| Le monde moderne

Les banques centrales nous mènent dans une impasse!

Rencontre avec Marc Chesney, directeur du Département de banque et finance et du Centre de compétence en finance durable de l’université de Zurich

Y-a-t-il un parallèle entre ce qu’on vit aujourd’hui et ce qu’a été la crise de 1929, la période qui l’a précédé, crise économique, démocratique et sanitaire?

Il y a des parallèles et des différences importantes. Le parallèle évident est lié à la dette et à la pauvreté.

Le gouvernement allemand qui a donné des leçons de gestion économique  à la Grèce aurait dû se souvenir qu’une grande partie de ses dettes a été annulée par deux fois dans l’histoire : en 1932. après la première guerre mondiale, et en 1953 avec les accords de Londres.

Le parallèle important est donc ce volume énorme de dettes privées et publiques, globalement environ 360% du PIB mondial, et la misère croissante. La pandémie de Covid-19 accentue ces déséquilibres.

Mais ce qui est nouveau et ce qui est différent maintenant, par rapport à l’époque des années 1920 et 30, c’est qu’existent des paris financiers, en l'occurrence des produits financiers qui permettent de parier sur la faillite sur l’insolvabilité de pays et d’entreprises. Ça, c’est nouveau dans l’histoire : on est confronté à une sorte de finance casino. C’est le cas depuis environ  une trentaine d’années avec la montée en puissance du néo-libéralisme  dans les années 80, avec Margaret Thatcher en Angleterre et Ronald Reagan aux Etats-Unis.

Le keynésianisme qui avait bien fonctionné est arrivé à ses limites à la fin des années 70 – guerre du Vietnam, crise du pétrole etc –  et un certain nombre de politiciens ont cherché d’autres recettes. Les néo-libéraux étaient prêts. Mais ce système est arrivé à bout de souffle en 2007-2008 comme la crise l’a montré.

En 2008, c’était la grande crise on pensait qu’il n’y en aurait pas après. Il fallait arrêter cette folie néolibérale selon les leaders mondiaux. On se rappelle du discours de Nicolas Sarkozy par exemple. Et pourtant tout à continuer comme avant, voire pire. Aujourd’hui on ne parle même pas d’annuler la dette. Pourquoi ?

Les recettes néolibérales pour la sortie de crise du coronavirus nous mènent dans une impasse. On y est complètement et au lieu de changer de politique les gouvernements et les banques centrales accélèrent. Pourtant, dans une impasse, il faut changer de direction et ne pas accélérer.

Des approches d'orientation keynésienne, ont permis d’orienter différemment les politiques économiques après la grande crise de 1929 et surtout durant l'après-guerre et jusqu'aux années 1970. Aujourd’hui, les économistes devraient prendre leurs responsabilités. La plupart des signaux sont au rouge, ceux de nature économique bien sûr, mais aussi sociale, financière et écologique. La nature émet des signaux qu’il faut lire. Les économistes le font rarement. Ils étudient le plus souvent l’impact de la pandémie sur l’économie, mais ce qui est plus pertinent serait inversement de comprendre et d’analyser l’impact de l’économie sur la fréquence des pandémies. Le dysfonctionnement de l’économie, de par la déforestation accrue, la perte de biodiversité, est dangereux. On a perdu actuellement environ deux tiers des espèces. C'est une véritable catastrophe. 

La globalisation de l’économie est le facteur clé de la diffusion la pandémie. Donc il faut remettre en question ce fonctionnement ou plutôt ce dysfonctionnement économique. Repenser la globalisation, la limiter et cesser la déforestation, être attentif à la perte de biodiversité. Il faut réfléchir de manière interdisciplinaire, or la plupart des économistes ne le font pas.

Et pourquoi la parole des économistes qu’on dit “Hétérodoxes” est-elle si rare ?

Parce que ça peut être très préjudiciable en termes de carrière. Certaines chaires en économie ou en finance sont financées, cofinancées par des grandes banques, qui ne veulent pas de réflexions critiques, les écoles de commerce non  plus, les responsables politiques non plus, donc c’est très difficile de faire entendre cette parole. Un jeune chercheur va être très prudent, je le comprends. Il va chercher à publier ses articles académiques dans des revues qui sont dominées par l’école de Chicago. Les tenants du système ne veulent par remettre en cause leur pouvoir. Le système se reproduit lui-même et c’est une honte parce que ces personnes sont aussi financées par des fonds publics.

Keynes était courageux. Il a développé de nouvelles idées, de nouveaux concepts. Les économistes devraient tenter d'en faire autant aujourd'hui, mais certains d'entre eux travaillent pour des lobbys ou pour des écuries politiques. Il s'agirait plutôt de nettoyer les écuries d’Augias !

Radio France a choisit un partenariat avec le Cercle des Économistes pour parler d’économie. Thomas Piketty va débattre une fois par semaine face à Dominique Seux pour parler économie, mais globalement dans les médias on entend que ce son de cloche : « on doit rembourser la dette, il faut faire des économies » et on continue avec les vieilles recettes. Vous êtes directeur d’une chaire de finance durable est-ce qu’on verra ça arriver en France, sans la poudre de perlimpinpin faussement écologique qui va avec?

Le Cercle des Économies est en orbite autour du pouvoir depuis longtemps, ce qui lui permet de recevoir un certain soutien politique...

Effectivement j’ai pris la responsabilité à l’université de Zurich d’un nouveau Centre en finance durable. Nous fonctionnons de manière interdisciplinaire avec des collègues qui sont en économie et en finance, mais aussi en droit, en psychologie, en biologie en médecine parce que c’est comme ça qu’on peut traiter les problèmes de manière intelligente plutôt que rester dans son silo, enfermés dans sa tour d’ivoire.

Comment comprendre une pandémie si on ne travaille pas avec justement des collègues en médecine ou en biologie ? Or, c'est ce qu’on essaye de faire. Le rectorat qui nous aide beaucoup,  pousse pour que nous exercions nos responsabilités. Il faudrait que ça soit le cas en France, mais c’est encore trop rare.

Que risque-t-il d’arriver si on n’annule pas la dette qui va selon toute probabilités exploser ?

Une annulation partielle de la dette est effectivement une solution. Que font les Banques Centrales par rapport à cela ?

Elles choisissent la politique des taux d’intérêt négatifs, ce qui incite à s’endetter encore plus. Mais les taux négatifs indiquent un dysfonctionnement majeur de l’économie. Le taux d’intérêt est un prix – en l’occurrence le prix de l’argent.

Qu’un prix soit négatif  aussi longtemps n’a aucun sens ! Supposons que nous allions au restaurant et qu'à la fin du repas, le serveur présente une addition négative et  nous donne 5 euros. On va y revenir le lendemain, avec la famille avec les amis. Ça peut avoir un sens pour une promotion mais ça ne peut pas durer une dizaine d’années parce ce que le restaurateur va tomber en faillite ! Il s'agit en l'occurrence de la faillite d’un système de finance casino, d'un système moribond dont le déclin s'accentue.  

À un moment ou un autre, il va falloir comprendre qu’il faut changer de direction politique économique.

C’est un système qui crée à la fois énormément de précarité et énormément de milliardaires, comme on n’en a jamais vu (Aux Etats-Unis, ils sont passés de 99 à 200 milliardaires en 20 ans). Est-ce que ça peut tenir à terme ?

Non, c’est effectivement intenable. La finance casino, la financiarisation de l’économie a pour caractéristique importante de concentrer des richesses inouïes en très peu de temps et en très peu de mains.

Auparavant avec les capitaines d’industrie, il fallait un certain temps, plusieurs générations. Parfois le succès familial était pérenne ou parfois la faillite arrivait. Aujourd’hui on à affaire à des individus qui veulent gagner tout, tout de suite et ça peut se faire grâce à la finance casino, à l’informatique à des positions financières qui sont prises à la milli ou à la microseconde!

Je ne parle pas d’investissements, parce que ce sont des mises, comme dans un casino : des paris.  Si ça fonctionne bien, certains deviennent millionnaires ou milliardaires très rapidement et si ça tourne mal, ils vont chercher souvent des aides publiques. Ils ne respectent même pas la règle de base du libéralisme dans laquelle ils se drapent, et qui est la suivante : ceux qui prennent des risques les assument.

C’est très simple. Eux, ils prennent des risques et nous, contribuables nous assumons.

Et puis, il y a aussi la façon qu’ont les fonds de se comporter: plus ça va mal, meilleur c’est pour la finance casino ?

Pour eux c’est ça : si ça va bien, ça va très bien et si l’économie va mal, ça va quand même bien. Donc, c’est de l’escroquerie.

Alors qu’est-ce qu’on peut faire ?  Vous parliez de ce signal fort de la nature qu’est cette pandémie, aujourd’hui tout le monde veut faire de l’écologie. Qu’est-ce qui pourrait être fait pour orienter la finance efficacement vers l’écologie ?

Oui, il y a beaucoup d’effets d’annonce et de « greenwashing ». Même Black Rock, pourrait être renommée Green Rock maintenant !  Beaucoup de grandes banques sont vertes sur le papier mais en regardant de plus près, on voit qu’elles investissent dans le gaz de schiste, l’énergie nucléaire ou le charbon.

Il faut donc des consommateurs prudents, critiques et il faut surtout des citoyens, qui prennent en main leurs responsabilités. Donc qu’ils changent de banque à chaque fois que c’est nécessaire. On peut lire les rapports voir ce que telle ou telle banque fait, quels sont ces choix d’investissement.

Est-ce que nationaliser les banques ce serait une solution ?

Je ne suis pas convaincu. Il faudrait au moins que l’État soit propre !

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