Analyse critique du secteur financier

22.11.2021

| Le Temps

La notion de finance durable est-elle un oxymore?

Pour le professeur Marc Chesney, la finance n’accorde de valeur qu’à ce qui possède un prix. Une conception utilitariste de la nature qui conduit forcément à la prédation. Comment distinguer le «greenwashing» d’un véritable engagement? A ses yeux, c’est au monde académique de fournir les outils.

Un constat s’impose. La finance durable est dans l’air du temps. Ceux-là mêmes qui, récemment encore, la moquaient chercheraient maintenant à la promouvoir. Mais cet engouement soudain met en lumière un paradoxe. En dépit d’une forte croissance d’investissements supposés durables, l’économie globale n’est pas devenue plus résiliente.

Les émissions de gaz à effet de serre n’ont diminué en 2020 qu’en conséquence des confinements liés au covid, et non du fait d’une stratégie visant à faire respecter l’Accord de Paris, dont l’objectif est de limiter l’augmentation de la température à 1,5 voire 2°C à la fin du siècle. Il est ainsi contradictoire de soutenir les accords internationaux, d’ailleurs non appliqués, visant à réduire ces émissions, tout en favorisant de vastes accords de libreéchange, qui ont pour effet de les accroître. La mise en oeuvre de véritables mesures respectueuses de l’environnement est par trop limitée par rapport au greenwashing, c’est-à-dire aux annonces relevant de la communication et du marketing.

Par conséquent, pour de nombreux observateurs, les deux mots, finance et durabilité, sont en flagrante contradiction. Ils constitueraient, en quelque sorte, un oxymore. Force est de constater que les faits, jusqu’à présent, leur ont donné le plus souvent raison. Les exemples sont légion. Les nombreux crédits octroyés aux entreprises actives dans la déforestation au Brésil et en Indonésie, dans l’extraction et l’utilisation intensive d’énergies fossiles, ne font que corroborer cette triste observation. En pratique, comme en théorie, c’està- dire dans son enseignement, la finance n’accorde de valeur qu’à ce qui possède un prix.

La nature n’aurait de valeur que dans la mesure où ses produits, comme le bois, l’eau, le miel… seraient traités sur des marchés internationaux, ou de gré à gré entre acheteurs et vendeurs. Les espèces sauvages, qui auraient l’indécence de ne rien produire de tangible et de commercialisable à court terme, ne représenteraient pas d’intérêt, auraient ainsi un prix nul et de ce fait aucune valeur. Une société qui emploie une telle conception utilitariste de la nature est prédatrice de son environnement en général. Pour être durable au contraire, il est essentiel d’intégrer une idée fort simple: ce qui a vraiment de la valeur ne saurait avoir de prix. De ce fait, une approche interdisciplinaire, allant au-delà du strict cadre utilitariste, est requise pour identifier le caractère durable ou non d’une activité économique et l’éventuelle valeur qui lui est associée.

Les graves crises actuelles sont de nature sociale, environnementale, sanitaire, économique et financière. Les origines de la pandémie de Covid-19, par exemple, sont liées au dysfonctionnement de l’économie, c’est-à-dire à la déforestation et à la perte de biodiversité qu’elle génère. La diffusion d’une épidémie est accélérée par la globalisation de l’économie. Une analyse critique, tant des causes que des conséquences d’une telle pandémie, est essentielle pour proposer, voire développer, des approches durables.

Distinguer le greenwashing, la posture de circonstance, d’un véritable engagement et comprendre ce que signifie véritablement ce dernier s’impose donc. Pour cela, une formation en durabilité représente un véritable atout. Le monde académique a un véritable rôle à jouer dans ce domaine. Il relève de sa responsabilité de fournir les outils nécessaires aux nouvelles générations leur permettant d’appréhender et d’affronter les défis environnementaux, sociaux et économiques. L’Université de Zurich est d’ailleurs active dans ce domaine, en permettant, dans un cadre interdisciplinaire, à des activités de recherches et d’enseignements, de véritablement se développer.

Il s’agit aussi d’offrir une perspective universitaire à tous ceux qui, à juste titre, s’inquiètent de l’inertie, voire du double langage, de nombreux acteurs économiques et politiques en termes de protection de l’environnement

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