24 juin 2014
| Le TempsLe sponsoring universitaire sous tension entre intérêts publics et privés
Les moyens publics mis à la disposition des universités pour mener à bien leurs tâches d’enseignement et de recherche restent souvent en deçà de leurs véritables besoins.
Marc Chesney, professeur à l’Université de Zurich, et Peter Ulrich, Ancien professeur à l’Université de Saint-Gall
Le sponsoring universitaire au centre des tensions
Les moyens publics mis à la disposition des universités pour mener à bien leurs tâches d’enseignement et de recherche restent souvent en deçà de leurs véritables besoins. Ceux-ci connaissent une augmentation due principalement aux croissances simultanées du nombre d’étudiants, des contraintes implicitement imposées par les classements internationaux et des charges administratives. La pression qui en résulte incite les universités à trouver des sources de financement privées. Les récentes polémiques liées au sponsoring, à hauteur de 100 millions de francs, de l’UBS International Center of Economics in Society à l’Université de Zurich ainsi qu’au financement de chaires à l’EPFL de Lausanne par la société Nestlé, illustrent la nécessité de définir des normes transparentes et crédibles garantissant que les dons reçus n’aient pas pour corollaire des coûts en termes de perte de liberté scientifique et d’éventuels risques de réputation.
L’identification de ces normes dépend directement du rôle dévolu à une université moderne et du concept utilisé pour la définir.
L’idéal classique de l’université est indissociable du nom de Wilhelm von Humboldt (1767-1835). Selon ce concept, l’université, aux desseins purement scientifiques, ne saurait en aucun cas être influencée par des objectifs ou des modèles qui lui sont étrangers.
L’enseignement se base sur une activité de recherche menée librement. Les compétences cognitives et les capacités scientifiques ainsi acquises par les étudiants leur permettent de se forger une personnalité correspondant à l’idéal humanitaire et émancipateur de l’esprit des lumières. Une telle université est essentielle au fonctionnement démocratique de la société. Selon le concept d’université entrepreneuriale, l’université est conçue comme une usine productrice de savoirs, au service de la compétitivité et de la performance économique, et financée par ses utilisateurs. Contrairement à l’idéal classique de l’université, où la liberté académique joue un rôle central, les échanges entre recherches et applications, entre les secteurs scientifique et économique deviennent essentiels. L’université est alors évaluée à l’aune de l’utilité qu’elle génère. Les filières à orientation pratique et les contrats de recherche financés par des fonds privés sont dans ce contexte des facteurs clés du succès d’une université ou d’une faculté. La réflexion critique n’y a plus vraiment sa place, elle est supplantée par la capacité à générer des financements externes et à améliorer la place de l’institution académique concernée dans les classements internationaux.
Les universités suisses, de tradition classique, intègrent de plus en plus dans leur stratégie de développement des éléments de l’université entrepreneuriale et se trouvent ainsi confrontées au défi de devoir trouver un équilibre entre ces deux modèles. Les écoles polytechniques fédérales de Zurich et de Lausanne ont depuis leur création été intimement liées au tissu industriel et correspondent de ce fait plutôt au concept d’université entrepreneuriale.
S’il est effectivement légitime pour les universités d’être en prise avec le tissu économique et social et de tenter d’accroître leurs budgets, elles se doivent de conserver leur liberté académique pour que leurs recherches, réflexions et enseignements continuent à contribuer au développement d’une société démocratique et ouverte. Ainsi apparaissent des tensions entre les contraintes financières des universités et l’impératif d’autonomie qui doit être le leur. Lorsque des sponsors souhaitent financer des chaires académiques, ces tensions peuvent se transformer en contradictions. Afin d’éviter que de tels risques se matérialisent, des principes doivent être respectés.
Le premier principe à respecter est celui de la transparence, essentiel en ce qui concerne tant le contrat de sponsoring définitif que le processus de décision qui y mène. Le second est celui du primat de la liberté académique. Il s’agit ici de s’assurer que le donateur ne puisse en aucun cas exercer une influence sur les activités de recherche et d’enseignement. Troisièmement, l’institution universitaire ne saurait être utilisée comme plateforme publicitaire par le sponsor en attribuant par exemple son nom à un amphithéâtre ou à une chaire. Cette possibilité ne devrait être envisagée que pour les donateurs mus par un idéal non commercial que sont les mécènes. Quatrièmement, la réputation de l’éventuel sponsor devrait être analysée avant une prise de décision. Par exemple, une société associée à des scandales récurrents ne saurait être considérée.
Une fois ces quatre critères satisfaits, l’attribution des fonds devrait en respecter un cinquième: celui de la solidarité entre facultés et départements. Lorsqu’un professeur, ou un département, reçoit une dotation suffisamment importante, un pourcentage minimal devrait être alloué aux autres départements dans la même faculté ainsi qu’aux autres facultés. Il s’agit ici de limiter les déséquilibres financiers entre facultés susceptibles d’attirer des montants conséquents, comme celles d’économie ou de médecine, et celles qui auraient du mal à en recevoir, comme celle de philosophie.
La mise en œuvre d’un contrat de sponsoring devrait finalement obéir au critère de séparation des compétences. Le sponsor ou ses représentants ne sauraient participer à des instances ou assemblées académiques a fortiori si elles ont pouvoir de décision en ce qui concerne la nomination de professeurs sur la base des fonds reçus.
Une commission interdisciplinaire devrait prendre en charge l’analyse des propositions de sponsoring et veiller au respect des critères. Introduire ces standards au niveau national devrait permettre à nos universités d’accroître leurs ressources et leurs contacts avec le tissu économique, tout en conservant leurs valeurs fondamentales. 1. Contrepoint, conseil de politique économique et sociale. Ont contresigné ce texte les membres suivants: Gabriella Bardin Arigoni; Beat Burgenmeier, Jean-Daniel Delley, Paul Dembinski, Michael Graff, Peter Hablützel, Gret Haller, Kurt Imhof, René Levy, Philippe Mastronardi, Hans-Balz Peter, Gudrun Sander, Christoph Stückelberger, Rudolf H. Strahm, Mario von Cranach, Karl Weber, Theo Wehner, Daniel Wiener, www.rat-kontrapunkt.ch
Une commission interdisciplinaire devrait prendre en charge l’analyse des propositions de sponsoring et veiller au respect des critères